Il y a des héros, parfois, qui ne meurent pas. De pures créations, que leur auteur essaie, pour diverses raisons, d’occire, mais qui ne se laissent pas tuer, bien au contraire : ils manifestent alors les symptômes d’une vie propre. Et une petite tendance à l’immortalité.
Sherlock immortel
En 1893, l’Angleterre est en deuil : un article du Docteur Watson, dans le Strand Magazine, raconte comment son ami, le détective Sherlock Holmes, a trouvé la mort dans les chutes du Reichenbach, en Suisse. C’est un tollé. Arthur Conan Doyle, l’auteur des aventures de Sherlock Holmes, qui avait souhaité se débarrasser de son encombrant détective pour laisser de la place à ses autres personnages, dans les romans historiques qu’il aime tant écrire, ne passe plus une journée tranquille. Dès qu’il met un pas dehors, il est assailli par une horde d’admirateurs qui lui demandent pourquoi il a tué Sherlock Holmes, et surtout, le supplient de le ramener à la vie.
Il finira par céder, un peu, en donnant au Canon son plus grand roman, « Le chien des Baskerville », censé se dérouler avant la mort de Holmes, puis beaucoup : dans « La maison vide », en 1894, le détective réapparaît en expliquant comment il a survécu et ce qu’il a fait de tout ce temps là.
Sherlock Holmes ne mourra ensuite plus jamais : nul récit de sa fin, nul notice nécrologique. L’on sait que Sherlock Holmes s’est retiré dans le Sussex en 1904 pour se consacrer à l’apiculture, qu’il a repris brièvement du service en 1914, avec Watson, pour démasquer un espion, et que c’est la dernière fois qu’on a entendu perler d’eux.
Le Canon Holmesien et le reste
Les admirateurs de Sherlock Holmes ont donné un nom à l’oeuvre : le « canon ». Le canon Holmesien est l’oeuvre originale de Sir Conan Doyle sur Sherlock Holmes, composée de cinquante six nouvelles et quatre romans. Rien de plus, rien de moins.
Mais la mort de Sherlock Holmes, paradoxalement, lui a prêté beaucoup plus de vie qu’il n’en avait au départ. Des pastiches ont commencé à faire florès, puis des adaptations, au théâtre, au cinéma. Des livres ont poursuivi l’oeuvre de Doyle, des essais ont été écrits, et ce, jusqu’à aujourd’hui, avec une ardeur qui n’a pas faibli. Résultat, des sociétés Sherlock Holmes, qui se donnent pour la plupart mission de servir d’appareil critique du canon, et de le comparer avec la survie moderne du personnage comptent toujours autant de membres actifs, et le musée Sherlock Holmes, au 221 B Baker Street, adresse du détective, reçoit encore, de temps à autre, des courriers implorant l’aide de « Monsieur Sherlock Holmes ».
Holmes est le personnage de fiction le plus adapté au cinéma, devant un autre Britannique, Dracula, et loin devant tous les autres. La télévision aussi s’en est emparé, à maint reprises. Aujourd’hui, presque 130 ans après sa première apparition, Sherlock Holmes est dans l’air du temps.
Pour le meilleur et le pire
Adapter Sherlock Holmes au cinéma ou à la télévision requiert du doigté : il faut apporter suffisamment d’innovations, sans sacrifier à l’esprit du personnage. Actuellement, un film et une série font régner le détective. Ils sont les parfaits exemples de cet équilibre.
Un ramassis d’imbéciles qui n’ont rien compris à Sherlock Holmes, et se servent de son nom pour faire se précipiter les foules dans les salles obscures afin d’assister à une superproduction de série B par ailleurs médiocre : le film de Guy Ritchie et sa suite ne doivent leur nom de Sherlock Holmes qu’au fait que le personnage soit dans le domaine public. Les films Sherlock Holmes que vous pouvez voir au cinéma avec Robert Downey Junior sont plus que de mauvais films : ils sont une insulte au canon, en recourant à tout ce que les nouvelles de Sherlock Holmes refusaient. A fuir au pas de course, tant ces métrages semblent avoir été réalisés à destination des sociétés Sherlock Holmes, rayon : « ce qu’il ne faut surtout pas faire ».
A l’opposé, la série « Sherlock » (photo), en cours de production et diffusée en France sur France 4, est passionnante à tout point de vue. L’idée est d’en faire une série moderne, tout en respectant la trame des histoires du canon, avec toutefois de nombreuses libertés. Sherlock Holmes utilise le texto plutôt que le télégramme, Watson ne tient plus un journal intime mais un blog, et les clins d’oeils appuyés sont constants. Sherlock est désagréable et hautain au possible, Watson passe son temps à expliquer que non, ils ne forment pas avec Holmes un couple gay, l’humour est omniprésent, et la seule déception sur les six épisodes qui constituent les deux saisons diffusées pour le moment est « Le chien des Baskerville ». La série respecte les personnages et donne envie de relire le canon. Ou, pour certains, de se le réciter.
C’est la mort de Sherlock Holmes qui l’a rendu immortel : jusqu’à ce que le héros disparaisse dans les chutes du Reichenbach, il n’était que populaire. Mais l’émotion causée par sa disparition a braqué les projecteurs sur lui, et a été le point de départ du véritable mythe qu’il constitue.
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